PRATIQUES DE LA FOLIE


 

Langues, paroles et chiffres.

 Séminaire 2005

         La réglementation des psychothérapies s’inscrit dans la nouvelle logique des procédures, dont la généralisation est un trait marquant du dernier quart de siècle. L’organisation d’une réglementation, d’un encadrement et d’une évaluation des pratiques forme un ensemble indissociable : c’est naïveté ou aveuglement que de croire que l’accès au titre de psychothérapeute n’implique en rien une réglementation des pratiques. C’est ne pas voir qu’aujourd’hui l’ensemble des pratiques de soins privées et publiques sont en passe d’être encadrées, contrôlées et évaluées selon les modèles mis en œuvre dans les entreprises. L’hôpital est désormais sous management, et le rapport Cléry-Melin sur la psychiatrie assigne les psychothérapies à leur place dans le réseau.

         La logique des procédures réduit le savoir et soupçonne l’acte. Pour donner des garanties à « l’usager », il faut à la fois estampiller un savoir dogmatique donnant accès à la profession, et surveiller les pratiques : unités de valeurs du savoir pour l’accès au titre, prolifération des protocoles pour enserrer l’acte. Garantie du titre et évaluation-contrôle des pratiques pour conjurer le fantôme du charlatan.

         La psychanalyse fait symptôme pour une telle logique, car elle place l’acte au cœur de sa méthode et de son éthique. L’acte de s’être engagé soi-même dans une cure, l’acte de témoigner auprès de ses pairs du passage à la position d’analyste. Le premier semble faire l’unanimité des freudiens, mais le second pose question à beaucoup et reste l’objet d’une véritable dispute, quelle que soit l’unanimité de façade. « L’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres » : le « quelques autres » ne fait pas problème, les diverses associations se pressent à ce titre, mais le « de lui-même » fait question et c’est à cet endroit précis que la psychanalyse fait symptôme pour la logique des procédures. Ce qui est intolérable à la logique des chiffres n’est rien d’autre que l’incommensurable de l’acte, son absence ultime de garantie.

         Quelle étrange fiction du social soutient donc une telle visée des rapports humains sous garantie juridique ? Un monde où l’on saurait ce que parler veut dire est en marche : la logique des procédures ne va pas sans l’imposition d’une véritable novlangue. De la clinique au moindre détail des pratiques tout doit être renommé, transposé dans une nouvelle langue, apparemment familière et pourtant totalement étrangère. Le rêve, c’est celui d’une langue une, d’une langue sans ambiguïté qui parviendrait à la simple et rassurante affirmation du chiffre, et ne concèderait à l’acte que son écart d’avec la norme statistique.

         On ne peut pour autant s’arrêter à la critique du cauchemar de la novlangue. De l’acte analytique à l’acte de l’artiste et à celui du chercheur, la même question insiste dans notre monde globalisant, celle de la place faite à la singularité comme telle. Il s’agirait, en premier lieu, de tenter d’en parler pour participer à notre manière à ce que Freud nommait « le travail de la culture ».